Chronique : Rêver 2074

C’est avec réticence que je me suis lancé dans la lecture de cette anthologie numérique créée à la demande du comité Colbert, un groupe d’entreprises qui a vocation à promouvoir l’industrie française du luxe. Il est vrai que ce travail a déclenché une polémique. Les auteurs ayant accepté le défi se retrouvant accusé de servir le système néolibéral dont le luxe est un des fers de lance. Mais pour bien critiquer ce recueil il convient de faire taire ses oeillères idéologiques et de le juger comme s’il s’agissait de récits de SF comme les autres. Le fait de construire une utopie autour du luxe était paradoxal. Mais c’est dans la nature même de la SF de proposer des visions paradoxales pour révéler la complexité du monde. Donc le présupposé ne doit pas nous surprendre. Il convient de voir si cette construction échappe au piège dont on l’accuse et tente de prendre un tour subversif échappant ainsi à l’orientation idéologique suspectée. C’est avec cela en tête que je l’ai lu.

L’arbre de porphyre de Xavier Mauméjean

Cette nouvelle nous entraîne dans les pas d’un homme qui est chargé de rendre leur bonheur aux individus et notamment aux riches qui ont perdu tout sens de la vie. Après s’être occupé du cas d’un milliardaire russe ( dans une scène digne des meilleurs films d’action), il est chargé par le directeur de l’OMS de rendre le goût de vivre à une artiste qui ne voit plus les couleurs.

L’intérêt du texte est d’avoir interprété de manière souple la contrainte. Nous ne sommes pas à proprement parler dans le futur de l’industrie du luxe. A travers des tas de petits détails Xavier Mauméjean rend vivant un univers aux limites du cyberpunk mais où l’humanisme semble avoir pris le pas sur la logique du profit. Il en profite même pour introduire quelques éléments subversifs que l’on attendait pas ici : l’argent ne fait pas le bonheur. Et finalement le principal luxe que peut partager l’humanité c’est le bonheur. Et ceux qui ont tout l’ont souvent sacrifié pour réussir on perdu le sens de la vie et ont besoin qu’on les remette sur les rails. Critique subtile du monde des oligarques qui bien souvent mène une vie vide de sens.

La Reine d’Ambre de Olivier Paquet

La directrice du domaine la Reine d’Ambre reçoit la visite de son nouveau directeur financier. Les actionnaires souhaitent démettre la présidente en grande partie parce qu’elle est victime d’une perte d’odorat depuis quelques années. Pour palier ce handicap elle a programmé une intelligence artificielle. Mais tout est bien qui fini bien. La présidente démissionne et l’IA finit par devenir présidente du domaine.

Olivier Paquet passe malheureusement à coté de son sujet ( ou est resté trop servile par rapport aux contraintes). L’héroïne est choquée quand le directeur financier propose de remplacer les vendangeurs par des robots, avec des propos digne du paternalisme du 19éme siècle. Par contre elle a préféré programmer une IA plutôt qu’embaucher un maître de chai. On préfère des sous prolétaires exploités plutôt que des robots mais quand on a besoin de cadre c’est une machine qui fait le travail. Bref ce n’est évidemment pas très logique. Et l’auteur ne dit rien sur les enjeux environnementaux que pourrait connaître la viticulture au cours du 21éme siècle ( on ne précise même pas si le vin de la Reine d’Ambre est bio). Bref Olivier Paquet avait pris un thème en or ( le vin et la viticulture) pour essayer de concilier industrie du luxe et développement durable et il a préféré partir sur autre chose. Et c’est bien dommage.

Facettes de Samantha Bailly

La neuro-scientifique Lune Guénon s’est reconvertie en créatrice de haute couture grâce à la création d’un tissu révolutionnaire qui permet de montrer les émotions de ceux qui le portent. Mais elle n’arrive plus à créer. C’est l’arrivée de son nouveau chargé de communication venu d’une maison de couture traditionnelle qui va lui permettre de trouver une nouvelle solution en alliant la modernité et la tradition.

L’intérêt de cette nouvelle est de nous présenter une entreprise du luxe fonctionnant comme une start up, constamment en recherche d’innovation. Je trouve assez bien vu l’idée du nouvel employé qui trouve la solution au problème de sa patronne. Samantha Bailly imagine également une vision du management plutôt humaniste aux antipodes avec le paternalisme de la nouvelle d’Olivier Paquet qui précède.

Noces de Diamant de Jean Claude Dunyach

Au début du 20 éme siècle l’ancêtre du propriétaire de la maison de joaillerie Janus, a découvert un diamant sur le site de la météorite de Tunguska. Le joailler raconte cette histoire à son fils et à son compagnon, un spationaute. Il souhaite en effet financer une expédition pour ramener un météorite de diamant sur Terre et travailler ensuite les joyaux nébulaires.

Une belle histoire, pleine d’émotion. Avec encore une fois un coté subversif  sous entendu( le météorite a de quoi fournir au moins un diamant pour chaque terrien, ce qui provoquera l’effondrement des cours ).

Un coin de son esprit de Anne Fakhouri

Tado Savage est le directeur d’une prestigieuse manufacture de sac en cuir synthétique. Mais un brevet déposé par un concurrent risque de ruiner la maison. C’est à ce moment là que revient sont frère Zadig, expatrié en Afrique par une soeur aujourd’hui dans le coma pour rechercher une ancienne technique qui pourrait tout changer et qui lié aux avancé des neurosciences ouvrirait la voie à une innovation tout à fait révolutionnaire.

Anne Fakhouri s’intéresse plus aux rapports humains qu’à la technologie et aux constructions anthropologiques. La nouvelle est plutôt intimiste et même par certain côté un peu froide. La confrontation entre les deux frères que tout oppose est bien rendue et notamment la jalousie de Tado le gestionnaire pour Zadig le créatif sonne juste.

Le don des Chimères de Joelle Wintrebert

Surya une biologiste a créé des créatures synthétiques, les Chimères, dont la mue est utilisée pour fabriquer une matière première de vêtement. On chargé une jeune biologiste dont la fille est autiste de convaincre Surya qui s’est retirée du monde de revenir au sein de la maison Protéus dont elle a fait la richesse. Bien entendu les choses ne se passeront pas vraiment comme prévu.

Un des meilleurs textes. On y aborde le problème de l’espionnage industriel. De nombreux détails évoquent le réchauffement climatique ainsi que de la prospective technologique bien réelle. Des relations complexes entre personnages. On présente les multinationales sous leur vrai jour et nous avons une dénonciation du monde des affaires qui broie l’individu et qui utilise des méthodes mafieuses. En plus des scènes bourrées d’émotion.

Au final cet univers partagé ne tient pas toutes les promesses qu’il aurait pu tenir. En effet on attendait des textes qui évoquent la conciliation du luxe avec le développement durable ou l’économie collaborative. Les entreprises présentées dans les nouvelles sont de bêtes sociétés anonymes avec des actionnaires là où l’on aurait attendu des coopératives. Finalement c’est une utopie du capitalisme triomphant que font là nos auteurs. La subversion est quand même présente dans les textes de Xavier Mauméjean, Jean Claude Dunyach ou Joelle Wintrebert.

Il est dommage que seule Joelle Wintrebert traite des enjeux écologiques ainsi que de l’intégration du luxe dans la troisième révolution industrielle.

Tout cela est très dommage. La SF est la littérature du « où allons nous » et donc se doit de présenter des alternatives. Celle proposée dans cette anthologie est bien légère, sans doute pour ne pas froisser les mécènes du Comité Colbert. Les textes de Xavier Mauméjean et de Joelle Wintrebert sont les seuls à tenter d’aller plus loin que les contraintes imposées. Le premier parce qu’il a su choisir un angle décalé pour traiter le thème, la seconde parce qu’elle a osé traiter les enjeux importants du 21éme siècle dans sa nouvelle. Et ce faisant ils ont dépassé le seul enjeux prospectif attendu : l’avenir des industrie du luxe. Finalement ce recueil collectif montre bien ce qu’est la limite entre prospective et science fiction. La SF transcende le matériaux qu’elle utilise, là où la prospective ne fait qu’un glissement dans l’avenir en extrapolant à partir de données actuelles.

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